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C'est avec beaucoup de bonheur que je vous ouvre les portes de mon jardin secret. J'espère que vous aurez grand plaisir à vous y perdre et à partager l'amour des mots et celui de la poésie.

Je vous souhaite un bon voyage !

Vanessa

A méditer ...

  La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent.

Albert Camus

30 mai 2008 5 30 /05 /mai /2008 21:48












Voilà maintenant des mois et des mois que la pluie ne cesse de tomber sur la capitale chinoise laissant mon moral aux confins du désespoir. La grisaille de Pékin me rend plus irascible. Pour le bien-être de tous, il est grand temps que soleil et lumière viennent caresser mon visage. Ce visage offert à une irrépressible envie de renaissance. J’ai tellement soif de vie et d’aventures qu’il me tarde de reprendre le chemin de l’insouciance, éloigné de toutes vicissitudes.

 

Profitant de l’invitation de mon ami, Ren Jie, à venir prendre le thé, je tourne résolument le dos à ces derniers mois de torpeur et saisis cette occasion pour me lancer à la recherche d’un environnement plus hospitalier que l’espèce de bouge dans lequel je suis cloîtrée depuis bientôt onze mois. Bien que la saison des pluies touche à sa fin, le carnage est encore visible dans les rues boueuses des faubourgs. Les égouts à ciel ouvert dégagent une odeur pestilentielle et cette puanteur me fait tourner de l’œil à chaque nouveau pas. C’est donc en toute hâte que je m’élance à travers les ruelles pour échapper aux affres de l’insalubrité purulente.

 

Une heure plus tard, moite et crottée, j’arrive enfin au seuil de la luxueuse demeure de mon ami. Devant ma mine débraillée, j’ai quelques scrupules à me présenter ainsi. Va-t-il me reconnaître ? Le hasard avait bien voulu nous réunir deux ans auparavant à l’occasion d’un congrès auquel j’assistais en tant que membre de la délégation française des Jeux Olympiques alors que Ren Jie venait traiter d’importants contrats commerciaux avec des partenaires qataris. C’est ainsi, au China World Hotel que nos routes s’étaient croisées dix-huit ans après avoir quitté les bancs de l’université américaine où nous avions brillamment terminé nos Masters.

 

Aujourd’hui, me voilà à l’orée de sa résidence et j’avoue être gagnée par une douce fébrilité à l’idée de me trouver face à une personne dont le chemin a pris d’autres virages. Je ne sais plus rien de ce jeune étudiant devenu un homme, un mari, un père peut-être, un étranger sans doute. Malgré une brève hésitation, la curiosité reste plus forte que tout et l’excitation cède le pas à l’anxiété. Alors que je m’apprête à actionner le carillon, les portes s’ouvrent devant moi sur un jeune homme qui me fait signe d’avancer. A croire que dans ce pays, les portes ont des yeux et des oreilles ! Le serviteur de la maison ne me laisse pas le temps de dire quoique ce soit que ce dernier m’ouvre la porte sur un monde que je n’avais jamais imaginé.

 

Des lustres en cristal surplombent une large entrée richement décorée d’objets venus du monde entier ce qui me laisse supposer que mon ami a dû beaucoup voyager durant ces années, accumulant une foultitude d’objets précieux et bigarrés lors de ses déplacements. Deux éléphants attirent immédiatement mon attention. Ils ornent l’entrée de part et d’autre accueillant leurs hôtes avec une solennité intimidante. Incroyablement imposants, ils sont sertis de superbes rubis rouges flamboyants et déploient de magnifiques défenses en ivoire d’une longueur interminable. Il émane d’eux une puissance carnassière étonnante. Le serviteur de Ren Jie m’invite à pénétrer dans un second vestibule, plus intime, et m’installe dans un fauteuil de velours rouge. Je n’ose m’y poser de peur de maculer cette belle matière. Profitant de la discrétion toute relation du serviteur, je m’époussette prestement avant de prendre place dans le lourd fauteuil. Bien calée, je tends les bras jusqu’à la console placée devant moi afin de saisir la collation que l’on vient de m’offrir. C’est une citronnade bien fraîche qui je dois l’avouer est la bienvenue après le périple que je viens d’accomplir pour parvenir jusqu’ici. Je m’en saisis prestement et bois le breuvage avec une grande avidité. Après l’agitation grouillante de la rue, le calme ambiant me fait le plus grand bien. Un instant, je ferme les yeux pour écouter le bruit des pâles ronronnant du plafonnier. Je commence enfin à me détendre. C’est alors que Ren Jie fait son apparition.

 

Je suis frappée par la beauté de ce jeune homme élancé tout de blanc vêtu qui se tient face à moi avec un tel sérieux que j’en reste totalement muette. Il se dégage de sa personne une force magnétique, énigmatique des plus charismatiques. Je tente tant bien que mal de contenir mon éblouissement. Je me redresse et me donne une certaine contenance en lui offrant, je l’espère, l’un de mes plus beaux sourires. Mon invite semble le ravir puisqu’il me tend les mains et m’offre une accolade qui m’électrise de la tête au pied. J’en ai les jambes qui tremblent. Je m’agrippe à lui comme à une bouée de secours. Quant à Ren Jie, il semble aussi à l’aise que je suis désemparée, devisant de tout et de rien comme si nous nous étions quittés la veille. Son assurance et son aisance finissent par me mettre tout à fait en confiance et sa sérénité envahit l’espace jusqu’à prendre possession de moi. Moi qui, il y a à peine quelques secondes, étais pétrifiée, je me sens dorénavant étrangement dépourvue de complexes et d’embarras. La conversation prend alors un tour tout à fait agréable et familier que je n’avais jamais connu auparavant avec quiconque. A tour de rôle, nous échangeons nos pensées les plus intimes partageant nos doutes, nos peurs et nos espoirs. Le temps passe si vite que je n’ai pas vu la nuit tomber. « Parfait, me lance Ren Jie, maintenant que je te tiens, je ne vais pas te laisser t’envoler comme ça ! ». Tout naturellement, nous décidons de ma présence cette nuit même dans son palais des mille et une nuits. J’ai l’impression d’être une princesse tant le temps semble s’être suspendu.

 

Après avoir babillé à bâton rompu, nous nous dirigeons vers une vaste salle à manger où nous attend un nombre indéfinissable d’agapes qui me mettent aussitôt l’eau à la bouche. Les plats sont plus appétissants les uns que les autres et j’avoue ne plus savoir où donner de la tête. Après avoir pris place à la table que les serviteurs ont dressée pour nous, une jeune fille me présente un large plat en porcelaine bleu et blanc dans lequel est disposée une variété de fruits de mer. S’ensuit une farandole de raviolis fourrés à la vapeur d’une légèreté telle que je me sens subitement l’âme d’une véritable ogresse vorace. Tout me fait envie même les hamsters aux oranges de Laogan dont la chair est si délicieusement parfumée d’agrumes.

 

Au détour d’une bouchée de beignet au litchi, je surprends le regard gourmand de Ren Jie posé sur moi. Rose de confusion, je fais mine de n’avoir rien remarqué et continue à piocher dans la corbeille de fruits où néfliers, grenades, kakis et papayes se disputent mes faveurs. Mais à quoi bon feindre ? Cela n’a aucun effet sur l’audace de mon ami qui me dévore des yeux. Que cherche-t-il donc à provoquer en moi ? Serait-il joueur par le plus grand des hasards ? Je n’ose faire quoique ce soit ne serait-ce qu’émettre un battement de cil. Prenant mon courage à deux mains, je repose la lamelle de goyave que je m’apprêtai à savourer et le plus calmement du monde plante mes prunelles au plus profond des siennes jusqu’à pouvoir y lire ses secrets les plus inavouables. Dans un silence religieux, nous restons ainsi immobiles, les yeux dans les yeux. Les portes de la salle à manger sont désormais closes et les serviteurs retirés en cuisine. Nous sommes seuls au monde, face à face. Je ne le lâche pas du regard essayant de percer le mystère de l’Orient mais Ren Jie, solidement campé en moi, ne me laisse que peu d’indices.

 

La plupart des bougies se sont consumées et nous baignons à présent dans une pénombre apaisante où seul le souffle de nos respirations impatientes se fait entendre. Soudain, Ren Jie rompt le silence et tel un fauve se coule derrière moi. Je ne bouge pas. Tous mes sens sont en éveil. J’attends telle une proie consentante face à ce fauve affamé. Enfin, il se penche sur moi et pose ses mains sur mon cou. Je sens son souffle descendre sur ma nuque. Des frissons parcourent mon échine. Dieu, que c’est bon ! Ses lèvres s’attardent sur mon cou. Je frémis d’impatience. Nos lèvres se rapprochent. Elles vont se toucher. S’embraser. Mais non, ce n’est pas le sel de sa  bouche que je goûte mais celui du sang.

 

Une brûlure sur ma joue. Une gifle ? Deux gifles, trois gifles, une volée de coups s’abat sur moi. Je ne suis pas chez Ren Jie. Je suis dans un bouge infâme. Les vapeurs de l’opium commence doucement à se dissiper et me laisse entrevoir enfin les contours de la pièce dans laquelle je me trouve. Cinq ou six jeunes filles sont entassées sur un matelas à même le sol. Je trône parmi elles, les vêtements défaits, emplis de la sueur et du sperme de ces brutes dont les relents me montent au nez comme la nausée. Je me sens mal. J’ai envie de vomir. J’ai la tête si lourde, les jambes en coton. Je n’arrive pas à me lever alors je tente de me redresser. L’un des types me regarde d’un air goguenard. Je le hais. J’aimerais lui cracher à la figure, lui lacérer le visage, lui crier toute ma haine et mon dégoût. Les jeunes filles à mes côtés sont encore dans le cirage. Elles semblent si jeunes. Et pourtant, elles sont déjà marquées par la vie. Pauvres de nous. Mon Dieu ayez pitié de nous ! Moi ici, c’est absurde, pathétique. Comment ai-je pu ?... Mais, qu’est-ce que j’entends ? Est-ce Dieu qui vient de m’envoyer un signe ? Oui, c’est lui. Je veux bien le croire. En un éclair, j’ai repris mes esprits. Mon corps repose sur ce matelas crasseux mais mon esprit n’y est plus. Ils ne peuvent plus m’atteindre. Je ne suis plus là.  Il faut que je parte. Que je m’envole ! Oui, j’en suis sûre, ma vie n’est pas ici. Demain. Demain sera un autre jour …



Paris, le 30 Mai 2008
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commentaires

E
Bon article, très intéressant, je recommande vivement votre blog.je vous souhaite une bonne continuation et longue vie à votre siteà bientôtsylvie
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V
<br /> <br /> Merci. C'est très gentil à vous, Sylvie.<br /> <br /> <br /> <br />
S
Je vois que tu te remets à écrire des textes plus longs, et c'est avec plaisir que je l'ai lu.Tu nous ramènes de l'exotisme de ton voyage en Chine. Merci.Et paf, j'attendais une scène d'amour torride, vu comment c'était parti entre ces deux là , et la gifle, que je me suis prise aussi. Une fin intattendue, bien joué !
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V
<br /> <br /> Oui, en effet, Sam. Depuis quelques semaines, je me reconcentre sur l'écriture que j'avais été obligée de mettre un peu de côté bien trop longtemps à mon goût.<br /> Je suis extrêmement heureuse d'avoir repris le chemin des Ateliers et je prends beaucoup de plaisir à écrire de nouveaux textes.<br /> <br /> Pour "Demain sera un autre jour", je me suis légèrement imprégnée de mon séjour en Chine tout en laissant aller au gré de mon envie mon imagination.<br /> <br /> J'avoue qu'au départ, j'avais effectivement prévu une scène des plus torrides et puis, cela ne correspondait pas vraiment à ce que j'avais envie de raconter, cette fin ne me ressemblait pas<br /> tout à fait. J'avais envie de dérouter le lecteur et j'ai donc opté pour cette fin inattendue et noire, comme j'aime à le faire parfois.<br /> <br /> Je suis heureuse que le texte t'ait plu, ma chère Sam et te remercie pour ta visite sur mon blog.<br /> <br /> A très bientôt, ici ou ailleurs ...<br /> <br /> <br /> <br />
C
je vient de decouvrir votre blog avec grand interetbonne continuationanna
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V
<br /> <br /> Je vous remercie, Anna. Vous y êtes la bienvenue. A très bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />
M
C'était à Orléans et Mimi était un grand naïf ....mais il a grandi..................Tu m'as fait peur............mais je crois que ce genre d'évènement se tait plus qu'il ne s'ébruite.....la victime est doublement victime..............               Bonne semaine Vanessa , mais je sens qu'il y eut un bel ange..............du moins je te le souhaite................bise de Mimi......rassuré.
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V
<br /> <br /> Eh bien, quelle histoire !<br /> <br /> Oui, tu as certainement raison mais je suis aussi convaincue que par le biais de l'écriture, on peut dire, exprimer beaucoup de choses et d'émotions, telles que les blessures, les souffrances<br /> enfouies et refoulées et qu'écrire c'est déjà guérir.<br /> <br /> Toujours pas de bel ange pour moi mais j'ose encore y croire un chouia. Gros bisous au Mimi rassuré !!<br /> <br /> <br /> <br />
M
Mon Dieu j'y repense encore pourvu que ce récit soit une fiction.................Mimi.
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V
<br /> <br /> Ne t'inquiète pas, mon Mimi ! Même si j'introduis toujours des éléments personnels dans mes textes, cette histoire n'est que pure fiction bien heureusement même si j'imagine aisément que cela<br /> existe à travers le monde. Allez, un gros bisous pour Le Mimi !<br /> <br /> <br /> <br />

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